Briser la toile de la violence conjugale
MARC LAROUCHE
Les signes de la violence conjugale ne sont pas toujours évidents, et c’est précisément ce qui la rend si pernicieuse. Isabelle Després, co-coordonnatrice au Centre-femmes La Passerelle du Kamouraska, décrit une réalité où la violence ne se limite pas aux gestes physiques, mais s’insinue doucement dans la vie quotidienne des victimes.
« La violence conjugale s’installe souvent par des comportements qui peuvent sembler anodins au départ : critiquer un ami proche, dénigrer un parent, remettre en question les sorties, ou contrôler l’accès au téléphone cellulaire. Ces petites choses, prises isolément, peuvent passer inaperçues, mais réunies, elles forment une véritable toile d’araignée », explique Mme Després.
Ce contrôle s’exprime à travers de multiples formes : limitation des déplacements, surveillance des appels et des messages, ou même vérification de l’historique de navigation sur Internet. Certaines victimes se voient même imposer des dispositifs de géolocalisation à leur insu. « On rencontre des femmes dont le conjoint a installé un GPS dans leur voiture, ou un logiciel espion sur leur téléphone. Ces pratiques les maintiennent dans un état de vigilance constant et renforcent leur isolement », ajoute-t-elle.
La toile se resserre lentement mais sûrement. À mesure que la victime perd contact avec ses proches, elle se retrouve de plus en plus dépendante de son agresseur, qui invalide ses perceptions et ses émotions. « L’un des premiers signaux d’alarme, c’est quand une femme se sent isolée de son entourage, et commence à douter de sa propre réalité. L’agresseur installe le doute en permanence : “Tu as mal compris”, “Tu exagères”, “Ce n’est pas ce que j’ai dit”… Ce doute constant est un mécanisme puissant de contrôle psychologique », précise Mme Després.
Ces stratégies insidieuses rendent la violence psychologique particulièrement difficile à identifier et à dénoncer. Pour plusieurs femmes, il faut des années avant de reconnaître qu’elles sont victimes de violence conjugale. « La violence physique est souvent la dernière étape d’un processus qui a commencé bien avant, par des comportements invisibles aux yeux des autres, mais dévastateurs pour celles qui les subissent. »
Ressources renforcées
Malgré ces défis, les ressources pour briser ce cercle vicieux se sont considérablement renforcées. Le rapport Rebâtir la confiance a permis de mettre en place des mesures pour assurer une meilleure sécurité aux victimes, notamment des tribunaux spécialisés et des cellules de crise. Dans la région du Bas-Saint-Laurent, des intervenantes de liaison sociojudiciaires travaillent de concert avec divers organismes pour accompagner les femmes dans ce cheminement difficile.
« Nous avons aujourd’hui un filet social beaucoup plus robuste qu’il y a vingt ans. Cela fait une différence, mais il reste crucial de continuer à sensibiliser. Chaque geste compte pour aider une femme à reconnaître qu’elle est prise dans une toile, et qu’il est possible d’en sortir », conclut Mme Després.
Si vous vous reconnaissez, vous sentez piégée, avez simplement des doutes, ou hésitez è demander de l’aide, c’est peut-être un signe. Un appel peut tout changer. SOS Violence conjugale est accessible 24 heures sur 24 au 1-800-363-9010. Vous bénéficierez de services d’écoute, de soutien et de références vers des ressources locales. Parce que personne ne devrait avoir à affronter seul une telle situation.
Le Centre-femmes La Passerelle du Kamouraska à Saint-Pascal aide les femmes victimes de violence. Photo : Archives Le Placoteux
Vers une justice adaptée aux victimes de violence
Le rapport Rebâtir la confiance a jeté les bases d’une réforme majeure pour mieux soutenir les victimes de violence sexuelle et conjugale. Avec 190 recommandations, le rapport déposé en décembre 2020 proposait de replacer les victimes au centre des interventions judiciaires et psychosociales. Parmi les mesures phares, l’instauration d’un tribunal spécialisé s’est imposée comme un levier crucial pour répondre aux besoins des personnes touchées par ces violences.
Québec a concrétisé cette vision en déposant le projet de loi 92 visant la création d’un tribunal spécialisé en matière de violence sexuelle et conjugale. Le projet est devenu réalité avec l’adoption unanime de la loi par l’Assemblée nationale en novembre de l’année suivante. Cette avancée législative a marqué un tournant important dans l’accompagnement des victimes.
Les objectifs de cette loi sont de rebâtir la confiance envers le système de justice, et d’offrir un accompagnement intégré et adapté dès le premier contact avec les autorités, notamment les services de police. En plus d’assurer une réponse judiciaire sensible, la loi introduit des services psychosociaux coordonnés pour soutenir les victimes tout au long de leur parcours.
Depuis son adoption, plusieurs initiatives ont été déployées pour donner vie aux recommandations du rapport. À ce jour, des projets pilotes de tribunaux spécialisés ont été mis en place dans plusieurs régions, incluant le Bas-Saint-Laurent. Ces initiatives permettent d’adapter les pratiques locales aux besoins des victimes en milieu rural, où les ressources peuvent être plus limitées.
Dans Chaudière-Appalaches, des efforts ont également été consentis pour améliorer l’accessibilité aux services psychosociaux, avec un renforcement des collaborations entre les organismes communautaires et les institutions judiciaires. Les intervenants de ces régions bénéficient désormais de formations spécialisées pour mieux comprendre les réalités des victimes, et les accompagner de façon adaptée.
Équipes multidisciplinaires
L’intégration des services commence dès le dépôt d’une plainte. Les victimes peuvent désormais accéder à des équipes multidisciplinaires regroupant policiers, avocats, travailleurs sociaux et psychologues. Cette approche vise à réduire les délais, à atténuer les traumatismes liés au parcours judiciaire, et à faire en sorte que la victime n’ait pas à raconter plusieurs fois son histoire.
Les campagnes de sensibilisation se sont également multipliées, notamment pour encourager les victimes à dénoncer, et pour mieux outiller les proches afin qu’ils puissent les soutenir. Ces efforts s’inscrivent dans une démarche globale visant à prévenir les violences tout en offrant des réponses adaptées aux personnes qui en subissent.
Cependant, le rapport souligne que la route reste longue pour garantir une accessibilité équitable aux services dans toutes les régions du Québec. Au Bas-Saint-Laurent, où les distances posent des défis, la mise en place de nouvelles infrastructures et d’outils numériques est essentielle pour combler les écarts. En Chaudière-Appalaches, des consultations sont en cours pour évaluer les besoins spécifiques des populations marginalisées et développer des solutions adaptées. (M.L.)


